Allez, explication...
c'est une série que j'ai débuté il y a un peu plus d'un an...
ma collection d'image s'achève peu à peu... mais j'ai bien du mal à décrocher car toutes les photos que je fais ont une histoire...
il est vrai que ce n'est pas évident de "s'infiltrer" dans ce genre de lieu et de se faire accepter... mais en ayant un dialogue franc et en se mettant à la hauteur de tous.... ben on en revient avec de bonnes images... et quelques bons souvenirs....
en principe, ses photos devraient prendre un peu l'air... et être accrochées à des cimaises...
puis, je les ai envoyé la semaine dernière pour une semaine dédiée à la photographie.... enfin j'espère être sélectionné et retenu...on verra bien....
comme mes photos ont des histoires... voici, ci-dessous, l'histoire et le pourquoi et comment j'en suis venu à les réaliser...
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L’histoire des photos des cafés…
Ça devait être dans les années 1966, 67, j’avais 6 ou 7 ans. Le dimanche matin c’était une tradition, mon père s’en allait retrouver mon grand-père, mes deux oncles et son cousin afin de jouer leur partie de carte dominicale. Presque toujours, il m’emmenait avec lui.
Le café portait le nom de Marichaux, « forgerons » en patois de chez nous.
Sa principale clientèle était d’anciens mineurs de fonds. Mon grand-père en était un, mes oncles, Georges et Arthur, également, ainsi que, si mes souvenirs sont bons, Alain, le cousin. Quant à mon père, il avait choisi de ne jamais y porter les pieds. Tous les dimanches matin, vers 10h30, ils s’installaient à la même table, près de la fenêtre, non loin du comptoir.
Mon oncle Arthur habitait la maison à coté du café. Ma tante n’avait donc qu’à passer la tête à la fenêtre et mimer que le repas de midi était prêt, annonçant ainsi la fin de la partie. Mon oncle, dos à la fenêtre, grimaçant, lui indiquait d’un geste furtif qu’il allait quitter la table de jeux et rentrer. Cinq minutes plus tard ma tante refaisait une apparition. Cette fois, elle frappait avec vigueur contre la vitre. Quelques noms d’oiseaux, quelques sourires pincés mais expressifs commençaient à faire leur apparition… cependant, la partie s’éternisait encore quelques minutes…A bout de patience, ma tante, tel un ouragan, surgissait alors dans le café… Et bien qu’il mesura presque un mètre nonante, mon oncle Arthur abandonnait sa donne de cartes, se levait de sa chaise et tout en grommelant quittait l’établissement à la suite de sa femme.
A peine avaient-ils franchis la porte de ce « lieu de débauche », que le reste de la famille éclatait de rire et lâchaient quelques vannes en regardant par la fenêtre passer le couple qui gesticulait de manière évocatrice…Leurs rires communicatifs entrainaient bien souvent le patron ainsi qu’une grande majorité de la clientèle de l’apéro dans une joyeuse bonne humeur. Moi, je les regardais sans vraiment comprendre la scène qui se déroulait immanquablement chaque dimanche devant mes yeux, mais je finissais toujours par me laisser gagner par leurs rires…
Bien des années ont passées mais le souvenir est resté. Habité par une certaine nostalgie et poussé par mon expérience photo, j’ai eu très envie d’entreprendre une démarche photographique pour retrouver ces cafés de mon enfance, ces lieux où la convivialité entre les clients et les piliers de comptoirs existe encore. Car ces vieux cafés disparaissent les uns après les autres, fautes de clients, faute à la crise comme disent certains… ces vieux cafés s’en vont et laissent peu à peu la place à des tavernes ou des cafés modernes à l’esthétisme accrocheur mais privé de toute âme. C’est l’évolution de la société qui veut ça...mais cette dernière évolue trop souvent au détriment de bien choses qui avaient une consonance humaine. On y perd en qualité…oui, je pense qu’on y perd beaucoup.
Lorsque je suis rentré dans le premier café que j’avais décidé de photographier, je me suis assis à une table, prés d’une fenêtre, non loin du comptoir ! J’ai commandé un café… et j’ai observé. Mon esprit s’est perdu dans mes souvenirs essayant de retrouver les bruits, les odeurs, les rires. Je voulais ressentir à nouveau ces effluves du passés. Mais surtout, je regardais... car la photographie c’est d’abord savoir regarder. Je me suis demandé comment construire mes images pour que toutes ces émotions puissent ressortir sur le papier… Je n’ai pas fait de photos ce jour là mais en rentrant chez moi, j’ai pris la route du « Marichaux » comme pour mieux m’imprégner des souvenirs de cette merveilleuse table…
Le lendemain, je suis retourné dans l’estaminet, et cette fois j’ai expliqué au patron ma démarche photo, mon projet : « j’ai de merveilleux souvenirs dans un café comme le votre, et comme ceux-ci disparaissent les uns après les autres, je pense qu’il est important de les photographier pour en garder un témoignage… » Le patron a accepté que je photographie son établissement et ses clients. Depuis, cette petite phrase que je dis et redis est devenu mon laissez-passer pour m’ouvrir les portes des cafés que je prends pour « cible ».
Ces cafés ont tous la même particularité : une clientèle d’habitués qui a son verre, sa table, son coin de comptoir. Chaque patron connait les habitudes et les préférences de ses clients. Les habitués des habitudes ! Ils se connaissent bien, s’apprécient, se respectent. Les entendre parler de la vie est quelque chose d’extraordinaire, car ils en savent des choses… et moi, à écouter les histoires narrées par l’un ou l’autre, j’apprends... toujours et encore.
Le dialogue s’engage souvent et je donne quelques explications supplémentaires. Plus tard, lorsque le moment est le bon, lorsque l’émotion me touche et me transperce, lorsque le passé et le présent se mêlent dans mon esprit, lorsqu’enfin je « vois » ce que je veux montrer : la vraie vie dans ce genre de lieux, alors seulement, je commence à photographier. Je peux y rester une heure ou plus, sirotant une eau ou un café mais surtout parlant avec les clients, le patron. Parfois pour expliquer encore et encore ma démarche, expliquer pourquoi faire ces photos, et comment on les fait…Dans ces situations, le numérique devient l’allié du photographe : après avoir fait une photo, je la montre sur l’arrière du boitier. Fusent alors les réflexions : « monnnn comme j’chui bien fait.. » ça j’adore !
Je suis à la fois amusé et ému car ces personnes sont tellement vraies et natures…
A chaque fois, je fais un ou deux tirages que je vais quelques jours plus tard offrir là ou je les ai construits. C’est ma façon de remercier et puis j’aime particulièrement leurs têtes lorsqu’ils se découvrent sur les photos… ça c’est succulent !
Il m’arrive parfois en rentrant chez moi de faire un détour, de passer devant le Marichaux devenu aujourd’hui une maison d’habitation. Je souris, je frémis et j’ai envie de klaxonner… Les abonnés de la table près de la fenêtre, non loin du comptoir sont tous morts mais j’espère de tout cœur qu’ils continuent encore à jouer aux cartes ensemble. Ma vieille tante Marta qui s’en est allée elle aussi, n’a plus aucune raison de venir frapper à la fenêtre du café car elle est certainement assise près de mon oncle à le regarder jouer aux cartes…