LE DERNIER DES BOURRELIERS
Nous étions d’un métier où l’ont travaillait ferme,
L’hiver à l’atelier, et l’été dans les fermes :
Rembourrant les colliers et réparant les selles,
Tirant sur le ligneul, le soir à la chandelle…
Artisans Bourreliers, fiers de porter ce nom,
Et n’ayant qu’un désir : accroître son renom.
Installés dans les bourgs tout comme dans les villes
On nous comptait en France environ quinze mille.
Nous sommes quelques milliers. Les autres sont partis
Vers l’usine ou ailleurs, en répartis…
Les chevaux ne sont plus, leurs colliers inutiles
Aux orties son jetés, comme choses futiles…
De la Bourrellerie, les temps sont révolus.
Un métier disparaît : le progrès l’a voulu.
Il en restera cent… et puis peut être vingt…
Et puis plus rien qu’un seul, qui ira dans la tombe.
Et qui disparaîtra comme tout ce qui tombe.
Devant son établi où rouillent tes alènes,
Pendant que dans le soir volètent les phalènes,
Vieux bourrelier pensif, songe quelques secondes
Et sois bien persuadé que ta vie fut féconde.
Auxiliaire précieux de l’ancien laboureur,
Tu aidas ces chevaux à servir sans douleur.
Tu as rempli ton rôle. N’aie donc pas tant de peine :
Quand tu ne seras plus, et que, poussé le pène,
On parlera de toi, le soir, à la veillé,
Dans les fermes où jadis, les femmes éveillées
T’apportaient le soufflet, qu’après ta journée faite
Tu réparais, souriant, et de façon parfaite
De t’avoir méconnu, on aura du remords,
Et l’ont murmura : dommage qu’il soit mort !...
Emile Dufour